Le monde est en proie à de multiples catastrophes humanitaires : guerres, famines, déplacements massifs, effondrement des services publics. Pourtant, la plupart de ces crises restent largement absentes des gros titres. Regard sur ces drames oubliés.
Il existe des destructions si persistantes qu’elles semblent avoir cessé d’exister dans les yeux du monde occidental. Quand l’information sélectionne la proximité idéologique, géographique ou culturelle, qui reste-t-il pour les peuples abandonnés ? Ces crises humanitaires ne disparaissent pas parce qu’on les tait : elles s’aggravent.
Des millions de vies basculent dans l’oubli : violences sexuelles massives, famines orchestrées, villes rayées de la carte, exodes interminables. Invisibilisées par les médias possédés par majoritairement par des milliardaires d’extrême droite, ces tragédies persistent. Il est urgent de regarder ce que l’on ne veut plus voir : les victimes du silence.
Soudan : guerre civile, famine et déplacement massif
Depuis l’éclatement du conflit en avril 2023 entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (FSR), le Soudan est plongé dans ce que l’ONU qualifie de « pire crise humanitaire et de déplacement au monde ». Depuis 2023, 12 millions de personnes ont été déplacées.
Aujourd’hui, 30 millions de personnes – dont 15 millions d’enfants – ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence. La famine est confirmée dans dix régions et continue de s’étendre. La majorité des hôpitaux dans les zones touchées par le conflit ne sont plus opérationnels, tandis que des maladies comme le choléra, la dengue ou le paludisme se propagent.
Et le drame humanitaire a récemment atteint un nouveau sommet. Le 26 octobre 2025, les Forces de soutien rapide (FSR) ont pris El-Fasher, capitale du Darfour du Nord, grâce notamment au soutien militaire des Émirats arabes unis, accusés d’avoir intensifié leurs livraisons d’armes à la milice.
Plus de 460 personnes ont été tuées dans une maternité, tandis que plus de 6 000 femmes enceintes se retrouvaient privées de soins vitaux. Les infrastructures sanitaires, les écoles et les camps de réfugiés sont désormais des cibles récurrentes : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé 185 attaques contre des établissements de santé, faisant déjà plus de 1 200 morts.
Les FSR utilisent les violences sexuelles comme arme de terreur pour humilier, contrôler et forcer au déplacement des populations. Dans un rapport publié le 10 avril 2025, Amnesty International documente des viols, viols en réunion, esclavage sexuel et tortures infligés à des femmes et des filles parfois âgées de 15 ans seulement, dans plusieurs États du pays.
Yémen : dix ans de guerre, famine, femmes et enfants en première ligne
Depuis plus de dix ans, le Yémen fait face à une guerre civile qui oppose les rebelles houthistes et le gouvernement d’Abdrabbo Mansour Hadi. Une crise oubliée qui continue pourtant, aggravée par l’arrêt « brutal et irresponsable » de l’aide américaine. Près de 20 millions de personnes – soit environ la moitié de la population – dépendent de l’aide humanitaire au Yémen. 4,8 millions de personnes – dont une majorité de femmes et d’enfants – sont déplacées au sein du pays. La malnutrition aiguë touche 2,3 millions d’enfants.
Au Yémen, les femmes subissent un calvaire quotidien exacerbé par le conflit. Elles vivent l’obligation de porter le niqab, le mariage d’enfants, la violence domestique, les crimes d’honneur… Leur voix est souvent muselée, et leur corps devient terrain de domination. Selon Amnesty International, il s’agit d’un des « pires endroits au monde pour une femme ».
Tigré (Éthiopie) : conflit armé, accès humanitaire bloqué, population piégée
La région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, malgré un accord de paix signé en 2022, la situation humanitaire demeure critique. Le conflit armé entre les forces armées éthiopiennes (aidées par l’armée érythréenne) et le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT) s’est poursuivi en 2024, entraînant crimes de guerre dont l’horreur dépasse l’entendement.
Un rapport conjoint de Physicians for Human Rights et de l’Organization for Justice and Accountability in the Horn of Africa (OJAH) révèle l’ampleur de violences sexuelles menées par les armées éthiopienne et érythréenne contre des femmes et des enfants tigréen·nes. Un rapport de la commission d’enquête sur le génocide au Tigré recense également plus de 480 000 témoignages de femmes ayant subi ces violences sexuelles génocidaires.
Les médecins décrivent des violences d’une brutalité extrême : viols collectifs, mutilations génitales, insertion d’objets tranchants ou de pierres dans les organes reproducteurs, transmission volontaire du VIH. Certaines victimes avaient entre 1 et 12 ans. Les soldats affirmaient vouloir « éteindre » l’ethnie tigréenne, soit en stérilisant les femmes, soit en les forçant à enfanter des enfants issus de leurs bourreaux.
Entre 2020 et 2022, la guerre a fait des centaines de milliers de morts. 700 000 personnes déplacées sont encore dans l’attente de rentrer chez elles. Des zones entières sont encore sous siège humanitaire alors que la majorité de la population est en situation d’insécurité alimentaire. À l’heure actuelle, les tensions montent entre l’Éthiopie et l’Érythrée.
Gaza : un cessez-le-feu fragile au milieu d’un génocide toujours en cours
Malgré l’annonce officielle d’un cessez-le-feu entrée en vigueur le 10 octobre 2025, la situation des Palestinien·nes continue de se détériorer. Les bombardements israéliens se sont poursuivis depuis. Le 28 octobre, Benyamin Netanyahou a ordonné de « mener immédiatement des frappes puissantes » sur la bande de Gaza. Les bombardements ont fait 100 morts – dont 46 enfants – et 200 blessés, le soir même. Cela amène le bilan à plus de 200 morts et des centaines de blessés par les frappes israéliennes depuis la « trêve ».
L’aide humanitaire est toujours largement insuffisante pour répondre à la famine et à la destruction massive des infrastructures. Israël laisse rentrer les camions au compte-goutte, ne respectant pas l’accord signé et le droit international.
À Gaza, plus de 10 % de la population a été tuée ou blessée depuis 2023, dont des dizaines de milliers d’enfants. Plus de 78 % des bâtiments ont été détruits, 94 % des hôpitaux sont hors service, et un enfant sur cinq souffre de malnutrition aiguë sévère. Depuis octobre 2023, 220 journalistes ont été tués à Gaza par l’armée d’Israël – État considéré par des complices du génocide comme « seule démocratie du Moyen-Orient ».
Un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies publié en mars 2025 fait également état des violences sexuelles et procréatives (ainsi que d’autres formes de violence basée sur le genre) perpétrées par l’armée israélienne sur le peuple palestinien.
Cette catastrophe humanitaire s’inscrit dans une histoire beaucoup plus ancienne, celle de la Nakba de 1948, lorsque plus de 700 000 Palestinien·nes ont été expulsé·es de leurs terres lors de la création d’Israël. Depuis, occupation, colonisation et blocus ont perpétué une mécanique d’oppression et de dépossession.
République démocratique du Congo (RDC) : une tragédie qui dure depuis 1994
La République démocratique du Congo vit une tragédie prolongée. La nouvelle offensive du M23 – soutenu par le Rwanda – a fait basculer 2025 dans une guerre ouverte. L’accord de Washington (cessez-le-feu RDC-Rwanda) et le processus de Doha (dialogue Kinshasa-M23) patinent ; le cessez-le-feu n’est pas respecté et l’embrasement régional menace.
Au-delà des joutes diplomatiques, c’est la population qui paie. 28 millions de personnes sont en insécurité alimentaire aiguë. 4,75 millions d’enfants de moins de 5 ans qui souffrent ou risquent de souffrir de malnutrition aiguë. L’accès humanitaire entravé.
Au cœur de cette tragédie, les femmes et les filles paient un tribut effroyable. Le viol est utilisé depuis des années comme arme de guerre : viols collectifs, esclavage sexuel, mutilations génitales et grossesses forcées sont documentés par l’ONU et de nombreuses ONG.
Cette catastrophe s’inscrit dans une histoire plus longue : depuis les années 1990, la RDC a connu un génocide qui a emporté plus de six millions de vies en dix ans – morts directs des violences, mais aussi famines, maladies et effondrement des services, conséquence directe de la guerre. Aujourd’hui encore, des millions de personnes sont déplacées, privées d’eau, de soins et d’éducation, tandis que la pauvreté structurelle étouffe toute résilience.
Burkina Faso (Sahel) : terrorisme, déplacement interne massif, zones assiégées
Au Sahel, le Burkina Faso est l’un des pays les plus affectés par les violences armées et les groupes terroristes. Plus de 2 millions de déplacés internes étaient recensés à la fin de mars 2023 et depuis le début de l’année 2025, plus de 230 000 personnes ont dû être déplacées à cause des violences dhijadistes. Les besoins humanitaires sont élevés mais l’accès est entravé, les convois d’aide subissent des attaques répétées.
À la fin du mois de mai 2025 moins d’un tiers des personnes dans le besoin ont pu être traitées pour malnutrition aiguë. 179 000 personnes – dont plus de 25 000 enfants – ont été admises pour ce traitement. Les enfants sont les premières victimes du conflit : selon un rapport de l’ONU publié en mars 2025, 2 483 violations graves contre 2 255 enfants ont été constatées, dont certains ont été victimes de violations multiples, entre le 1er juillet 2022 au 30 juin 2024.
Somalie : insécurité, crise alimentaire et sécheresse chronique
En Somalie, la situation continue de se détériorer. Entre persistance du conflit, avec notamment la nouvelle offensive du groupe armé islamiste Al-Shabaab qui gagne du terrain, profitant du paysage politique fragmenté.
Le pays cumule des facteurs de crise et la malnutrition est aggravée par l’augmentation de la fréquence des sécheresses et des irrégularités météorologiques. Plus de 4,4 millions de personnes font face à l’insécurité alimentaire. En mai 2025, l’ONG Care annonçait déjà que le nombre d’enfants de moins de cinq ans souffrant de malnutrition avait bondi de 1,7 à 1,8 million en quelques mois à peine. Parmi eux, près de 500 000 risquaient de mourir sans aide urgente. Mais à mesure que les besoins augmentent, le financement humanitaire diminue.
Les violences sexuelles (« viols, esclavage sexuel, grossesses forcées, prostitution forcée, stérilisations forcées, mariages forcé et d’autres formes de violences sexuelles d’une gravité comparable ») liées aux conflits sont également légion. Le taux de prévalence de l’excision ou des mutilations génitales féminines s’élève à 99 %. Près de la moitié des filles somaliennes sont mariées de force avant 18 ans et 16 % d’entre elles, avant 15 ans.
Haïti : violence des gangs, effondrement économique, crise alimentaire
Haïti traverse une crise historique qui a pris, en 2024-2025, une dimension catastrophique. Les groupes criminels contrôlent environ 85 % de Port-au-Prince et étendent leur emprise dans d’autres régions stratégiques. Meurtres, enlèvements et attaques coordonnées paralysent le pays : eau, électricité, santé, nourriture, transport… l’accès à tout service essentiel est devenu précaire, voire inexistant. Plus de 5,4 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë et une moitié de la population peine chaque jour à manger.
Dans ce chaos, les violences sexuelles se sont généralisées. Les survivantes ont très peu accès à des soins déjà proches de l’effondrement : seuls 20 à 40 % des établissements de santé fonctionnent encore, et deux Haïtiens sur cinq n’ont plus accès aux soins vitaux. L’impunité est la norme dans un système judiciaire presque à l’arrêt.
Les enfants figurent parmi les victimes les plus exposées. Environ 500 000 vivent sous la coupe des groupes criminels qui utilisent au moins 30 % de mineurs dans leurs rangs : enrôlement forcé, exploitation sexuelle, travail illégal, violences extrêmes. 703 000 Haïtiens sont aujourd’hui déplacés à l’intérieur du pays, dont 25 % d’enfants, vivant dans des camps informels majoritairement situés en zones criminelles.
Afghanistan : répression totale et crise humanitaire sans précédent
Quatre ans après la chute de Kaboul, l’Afghanistan vit sous un régime de terreur. Les talibans ont démantelé l’appareil judiciaire, remplacé par une justice religieuse arbitraire : arrestations et disparitions forcées, tortures, châtiments corporels publics, exécutions extrajudiciaires. Les journalistes, défenseurs des droits humains et anciens fonctionnaires sont régulièrement pris pour cibles. La minorité hazara chiite continue de subir des attaques meurtrières.
22,9 millions de personnes – près de la moitié de la population – avaient besoin d’aide humanitaire en avril 2025. Une large majorité de la population vit dans la pauvreté. Le retour forcé d’Afghan·es depuis le Pakistan et l’Iran met à genoux des services de base déjà effondrés.
Les femmes et les filles sont encore les principales victimes de ce régime. L’Afghanistan est devenu un épicentre mondial de l’érosion des droits des femmes : interdiction aux filles d’aller à l’école au-delà du primaire, interdiction d’université, licenciement massif, impossibilité de se déplacer sans un tuteur masculin.
Depuis 2024, la loi sur la « vertu » institue une surveillance totale : voix bâillonnée, présence publique réduite à néant. L’accès aux soins, notamment à la santé sexuelle et reproductive, est gravement limité. Les conséquences de l’apartheid de genre sont dramatiques : explosion des mariages précoces, hausse attendue de la mortalité maternelle, crise de santé mentale et effondrement de l’autonomie économique féminine. Selon l’ONU, cette loi sur la morale pourrait « rendre invisible et sans voix la moitié de la population afghane ».
Par Elena Meilune – mrmondialisation.org



                                    

