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mardi, décembre 9, 2025
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FINANCE VERTE : LE NOUVEAU PIÈGE DE LA DETTE AFRICAINE ?


Sous couvert de « finance verte  », l’Afrique s’endette pour contribuer à sauver la planète. Les conférences se succèdent, les promesses affluent, les fonds se rebaptisent « climatiques » mais la mécanique reste inchangée : le continent emprunte pour atténuer les effets d’un dérèglement dont il paie le prix fort sans en avoir été le principal responsable. La transition écologique, censée corriger les déséquilibres hérités de l’Histoire, risque bien d’en creuser de nouveaux. Explications.

Une transition financée à crédit

Depuis quelques années, la finance du climat est devenue le nouveau langage du développement. Ses montants se comptent en milliards, ses acronymes, PPP, SLM, blended finance, envahissent les rapports comme les tribunes. Pourtant, derrière la rhétorique du verdissement, l’Afrique continue de financer son adaptation par la dette. Selon la Banque mondiale, près de 70 % des fonds climatiques proviennent aujourd’hui de prêts, contre moins d’un quart de dons. En clair, pour s’adapter à un réchauffement qu’elle subit, l’Afrique doit s’endetter davantage.

Les États multiplient les obligations vertes et les partenariats public-privé estampillés « climat », tandis que les budgets sociaux se contractent. Les dépenses d’éducation, de santé ou de subventions énergétiques reculent au profit d’investissements qui satisfont les bailleurs mais laissent les populations à distance. La transition devient une ligne comptable, détachée de la réalité sociale. Le climat, objet d’urgence universelle, se transforme en prétexte technocratique.

Une finance qui contourne le terrain

Derrière les flux, les circuits restent verticaux. L’argent part du Nord, transite par les institutions multilatérales, puis se concentre sur quelques grands projets « bancables » : centrales solaires, parcs éoliens, lignes à haute tension, infrastructures urbaines. Ces réalisations, souvent spectaculaires sur le papier, laissent dans l’ombre l’économie réelle : celle des PME africaines, des collectivités locales, des coopératives agricoles. Celles-ci n’accèdent presque jamais à ces ressources, écartées par la complexité des procédures, la taille minimale des financements ou l’absence de couverture contre le risque de change. La transition, censée être inclusive, reproduit les logiques d’exclusion.

Et lorsque l’argent arrive enfin, il n’est pas toujours neutre. Les contrats d’achat d’électricité, souvent indexés sur le dollar, exposent les consommateurs africains à des hausses automatiques de tarifs dès que les monnaies locales se déprécient. Chaque prêt vert alourdit des dettes déjà écrasantes, réduisant les marges budgétaires pour les filets sociaux. Le risque financier devient social. Le citoyen paie deux fois : par ses impôts et par sa facture d’électricité.

Réécrire les règles du jeu

Face à ce paradoxe, il ne suffit pas de dénoncer ; il faut réinventer la finance verte. Les instruments existent, mais doivent être repensés. Les financements mixtes, combinant dons et prêts, devraient servir à subventionner le risque social, celui d’un tarif abordable, d’un raccordement universel, d’infrastructures locales, plutôt qu’à sécuriser les rendements des investisseurs.

Les obligations vertes gagneraient en crédibilité si les indicateurs mesuraient des progrès concrets : nombre de foyers connectés, emplois créés, pertes techniques réduites. Les opérations de dette contre climat, à condition d’être logées dans des fonds nationaux de transition gérés localement et soumis à un contrôle public, pourraient réconcilier soutenabilité financière et justice environnementale.

Les signaux d’un virage possible

Certains pays esquissent déjà un tournant. Le Nigeria expérimente une électrification rurale fondée sur des mini-réseaux solaires hybrides qui financent l’accès à l’énergie et l’emploi local. Le Maroc, pionner du green bond souverain, y associe des indicateurs sociaux mesurables. La Namibie négocie un accord de « transition juste » qui prévoit la reconversion des travailleurs du secteur fossile. Ces initiatives restent modestes mais elles rappellent que la justice climatique ne doit pas rester un simple slogan.

La transition africaine ne se résumera pas à des mégawatts ni à des crédits carbone. Elle ne sera durable que si elle finance aussi des droits, des emplois, de la transparence et de la dignité. L’équité est la condition même de la durabilité. Sans elle, la finance verte restera ce qu’elle est trop souvent une promesse vaine.


Par Stéphanie Manguele avocate au barreau de Paris et exerce au sein du cabinet Thiam & Associé.

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