Une étude américaine établit pour la première fois un lien entre la pollution atmosphérique particulaire et l’augmentation des mutations liées au cancer du poumon chez les non-fumeurs. Les résultats révèlent que la pollution de l’air pourrait être plus dangereuse que le tabagisme passif.
C’est le cancer le plus meurtrier en France, et le troisième plus fréquent, avec près de 50.000 diagnostics par an. Mais si les fumeurs de tabac ont 10 à 15 fois plus de risque de développer un cancer du poumon, les non-fumeurs représentent jusqu’à 25 % de l’ensemble de la population touchée. Pourtant, leurs tumeurs sont mal connues, car les études antérieures se sont concentrées sur les fumeurs de tabac.
Des scientifiques des National Institutes of Health (NIH) et leurs collègues de l’Université de Californie à San Diego ont analysé les tumeurs pulmonaires de 871 patients n’ayant jamais fumé, répartis sur 28 sites géographiques dans le monde entier. Ils établissent dans la revue Nature un lien entre l’exposition à la pollution atmosphérique et l’augmentation des mutations génétiques favorisant le cancer.
Des travaux pionniers sur le cancer du poumon chez les non-fumeurs
Ces résultats font partie du projet Sherlock-Lung, une vaste recherche internationale centrée sur le cancer du poumon chez les personnes n’ayant jamais fumé. Une étude publiée dans la revue Nature Genetics en 2021 révélait des signatures génétiques différentes de ces tumeurs chez les non-fumeurs. Pour trouver les facteurs mutagènes liés au développement d’un cancer du poumon chez les personnes qui ne fument pas de tabac, Maria Teresa Landi, oncologie italienne, auteure principale de l’étude et du Sherlock-Lung project, a réalisé une analyse approfondie du génome entier du cancer du poumon dans cette population minoritaire.
Les tumeurs résultant d’un tabagisme actif présentent généralement une charge mutationnelle tumorale élevée. Leur matériel génétique subit de nombreuses modifications, appelées mutations. Lorsque celles-ci altèrent en particulier certains gènes dits « moteurs », comme c’est le cas chez les fumeurs de tabac, elles favorisent directement la transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse.
On trouve aussi chez les fumeurs des empreintes caractéristiques laissées dans l’ADN par les substances cancérigènes de la fumée de tabac. Par exemple, la signature SBS4 est typiquement associée aux dommages causés par le tabac.
En 2021, l’équipe de Maria Teresa Landi constate que les tumeurs de sujets n’ayant jamais fumé et exposés au tabagisme passif ne présentent qu’une charge mutationnelle modérée, donc peu de mutations, et aucune signature mutationnelle spécifique au tabac (comme la SBS4).
Des signatures mutationnelles similaires à celles laissées par le tabac
« Chez les non-fumeurs exposés à des niveaux élevés de pollution atmosphérique, nous avons décelé une charge mutationnelle élevée, un enrichissement en mutations dans le gène TP53 (un gène conducteur très important, ndlr) et des signatures mutationnelles comme le tabagisme (SBS4) », annonce la chercheuse à Sciences et Avenir.
Le gène TP53 participe à la défense du corps humain contre les cellules cancéreuses. Il participe à la surveillance immunitaire, son rôle est de stopper la multiplication des cellules trop endommagées par des mutations. Il peut aussi déclencher leur mort par apoptose (faculté de la cellule à s’auto-détruire) en dernier recours, et empêcher la formation de cancers.
Les chercheurs ont également observé un lien entre la pollution atmosphérique et le raccourcissement des télomères. Ces sections d’ADN situées à l’extrémité des chromosomes raccourcissent naturellement avec l’âge. Le raccourcissement prématuré des télomères indique que les cellules se divisent rapidement. Des télomères plus courts peuvent rendre la cellule plus susceptible de se répliquer de manière incontrôlée. Chaque division cellulaire est l’occasion d’erreurs dans la réplication de l’ADN, qui entrainent des mutations potentiellement cancéreuses.
Normalement, ce raccourcissement est un signal d’alerte pour le gène TP53, qui peut alors provoquer l’arrêt du cycle cellulaire ou la mort programmée de la cellule (apoptose). Mais le gène TP53 est rendu inefficace par les mutations liées à une forte exposition à la pollution atmosphérique.
Cette étude suggère ainsi que la pollution atmosphérique pourrait être plus susceptible d’entrainer des mutations responsables du cancer du poumon chez les non-fumeurs que le tabagisme passif, ce dernier ne provoquant pas d’augmentation des mutations cancérigènes ou des signatures mutationnelles liées au tabac L’équipe de Maria Teresa Landi poursuit ses recherches en espérant permettre une détection précoce de ces mutations, ou un traitement plus adapté à ces tumeurs chez les non-fumeurs.