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mercredi, janvier 22, 2025
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AU KENYA, LE SECTEUR DU CAFÉ FRAPPÉ PAR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE


La production nationale a chuté de près de 70 % entre la fin des années 1980 et le début de la décennie 2020, passant de 130 000 à 40 000 tonnes.

C’est l’heure du déjeuner, mardi 14 janvier, dans le village de Gatura, une commune de quelques milliers d’habitants nichée dans les replis montagneux du massif des Aberdere, au centre du Kenya.

Chez les Wanyaga, la table n’a toutefois pas encore été mise. Le couple est devant le téléviseur du salon, une longue pièce aux murs tapissés d’images du Christ, d’animaux et de joueurs de Manchester United. Les canapés sont fatigués. Au milieu, trône une table basse immaculée. A l’écran, Mutahi Kagwe, le ministre de l’agriculture et du développement de l’élevage récemment nommé, est questionné par les députés sur la chaîne NTV.

Depuis son canapé, Robert Wanyaga, 72 ans, polo clair, hoche la tête, visiblement satisfait des mots prononcés par le nouveau ministre : « Il nous donne espoir à nous les producteurs de café. Il dit que l’argent doit aller dans les poches des cultivateurs et de personne d’autre. J’ai confiance en lui. En plus, il est de notre région. » A côté de lui, sa femme Millicent, 61 ans, opine à ce que dit son mari.

Les Wanyaga sont producteurs de café. Au-delà de la clôture de leur jardin s’étend leur plantation : quelque 400 pieds de caféiers plantés à flancs de collines, serrés les uns aux autres. « Le changement climatique nous a frappés durement. Notre production a beaucoup baissé, explique M. Wanyaga. Avant 2019, un arbre produisait 12,5 kg de café. Le rendement a chuté à 3 kg. 2024 a été une année correcte, mais je ne tirerai pas plus de 7 kg par plant. »

De 600 à 400 caféiers

C’est le même constat désabusé chez Lawrence Wamuya, 45 ans, autre producteur de Gatura, dont la maison se trouve à deux kilomètres de celle des Wanyaga. Dans le jardin, du linge posé à même une haie sèche au soleil, alors qu’un peu plus loin des poules caquettent derrière leur cage.

Assis sur une chaise en plastique à l’ombre du gigantesque manguier du jardin, M. Wamuya constate : « Les saisons chaudes et les saisons froides sont devenues plus extrêmes. Les variations sont plus intenses désormais. Elles ont beaucoup affecté la culture de café. Je produis aujourd’hui un quart de ce que j’avais à la fin des années 1990. Pourtant, ma pratique et mes techniques de culture n’ont pas changé. »

Son exploitation est passée de 600 à 400 caféiers. Il soupire et indique de la main le bas de la pente sur lequel s’étendent ses cultures : « On manque d’eau. On avait une petite rivière qui s’est asséchée à la fin des années 1990. Elle n’est jamais réapparue. »

A l’échelle du pays, la production de café a chuté de près de 70 % entre la fin des années 1980 et le début de la décennie 2020, passant de 130 000 à 40 000 tonnes. En bonne partie en raison du dérèglement climatique. Selon une étude de l’organisation non gouvernementale Fairtrade International, 93 % des producteurs de café au Kenya, secteur qui fait vivre près de 800 000 foyers, font désormais face à ses conséquences. Cinquième producteur africain, le pays exporte l’essentiel de son café vers l’Europe.

La « maladie des baies du caféier »

Au bout d’un chemin de terre rouge, à l’autre extrémité du village, se trouve la maison d’Eunice Maina, 76 ans. Depuis la courette du jardin, se devine la silhouette bleue des montagnes Aberdare. Eunice Maina, robe élégante et tempes légèrement blanchies, a été institutrice durant trente-six ans, dont l’essentiel ici, à Gatura. Elle a connu une bonne partie des cultivateurs du village sur les bancs de sa classe alors qu’ils n’étaient que gosses.

Elle-même productrice, elle possède 400 caféiers : « Il y a quelques années, j’ai perdu ma récolte. Le climat très froid de juin et juillet et le gel ont provoqué sur mes plants ce qu’on appelle la “maladie des baies du caféier”. Ce n’était jamais arrivé avant. » Cette maladie, dont le nom scientifique est Colletotrichum kahawae, est un champignon qui attaque les feuilles et les baies lorsqu’elles sont encore vertes.

« J’ai décidé à ce moment-là de changer de variétés et de planter des espèces plus résistantes », explique Eunice Maina. Elle plante alors une première fois quelques plants de Ruiru 11 et de Batian, deux variétés réputées plus solides. La maladie des baies du caféier causée par les températures excessivement basses les affecte peu et leurs rendements sont bons. Après la première expérience réussie, elle plantera d’autres pieds de ces deux espèces.

L’université Dedan-Kimathi, à Nyeri, la capitale régionale, a mené des expériences de greffe de ces deux nouvelles espèces sur d’anciennes variétés, sensibles au froid mais aux racines profondes. Les résultats ont été concluants, permettant d’allier résistance au froid et racines capables d’aller chercher l’eau profondément dans la terre.

Des pluies brutales qui détruisent tout

Pour faire face aux fortes chaleurs, de décembre à mars, les Wanyaga ont intercalé entre leurs plants de caféiers des bananiers. Ces arbres, hauts de plusieurs mètres et aux larges feuilles, font office de parasols pour les plantes situées en dessous. Lawrence Wamuya et Eunice Maina jugent nécessaire aujourd’hui la mise en place d’un système d’irrigation capable d’aller chercher dans la nappe phréatique l’eau nécessaire à leurs cultures.

« Les pluies quand elles tombent sont brutales et détruisent tout désormais », constate Mme Maina. « Le souci, c’est que mettre en place un système d’irrigation coûte beaucoup d’argent et que, sans vraie volonté politique, rien ne peut être fait », juge Lawrence Wamuya à l’ombre de son manguier.

Un forage a bien été creusé il y a une quinzaine d’années, financé par un fournisseur de pesticides, mais ce dernier est parti et le projet n’a jamais été plus loin. « Nos décideurs pensent davantage à leurs intérêts qu’à ceux des cultivateurs », déplore M. Wamuya, qui a choisi de diversifier ses cultures pour ne plus dépendre que de la production de café. Des avocatiers et des macadamiers ont été plantés sur la parcelle qui n’abritait il y a encore vingt ans que des caféiers. Les deux cultures lui « permettent d’équilibrer les pertes du café ».

L’usine de transformation des grains de café de Gatura se trouve à l’entrée de la commune. Sur de longues tables en bois blanchies par le soleil sèchent lentement les cerises apportées par les quelque 400 fermiers des environs du village. « Il faut vingt et un jours bien ensoleillés pour que les grains sèchent », précise Charles Njure, le manager de l’usine, vêtu d’une blouse de laborantin et de bottes en caoutchouc. A Gatura, tout le monde le surnomme « Mwalimu » – professeur en langue kiswahili – parce qu’il forme et enseigne aux techniques d’agriculture.

« Evidemment que le secteur fait face à de nombreux défis. En 2024, nous avons eu de très fortes pluies qui ont perturbé fortement la période de séchage. Les grains n’ont pas pu sécher correctement. » Il arrive que les pluies brutales détruisent les tables de séchage. Il se met à rêver : « Je voudrais qu’on puisse construire un séchoir solaire. » Ce système permettrait que les grains en train de sécher soient stockés dans un entrepôt équipé d’un toit et d’un mécanisme de redistribution de la chaleur. Cela leur permettrait de les sécher même les jours de pluie.

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